Comment Disney entretient sa machine de guerre

Le lien entre "La Belle au bois dormant" et "Star Wars" ? Un plan stratégique minutieux daté de 1957 et conçu par l'oncle Walt lui-même !

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Comment Disney entretient sa machine de guerre
Comment Disney entretient sa machine de guerre © Le Point

Temps de lecture : 6 min

On le sait, c'est énorme. Depuis sa sortie le 16 décembre, Star Wars : Le réveil de la Force a pulvérisé quarante et un records au box-office. À l'heure où nous écrivons ces lignes, il cumule 10,2 millions d'entrées en France et a rejoint Titanic et Avatar dans le club très privé des films à plus de deux milliards de dollars de recettes. Bref, un très beau retour sur investissement pour Disney, qui avait racheté Lucasfilm en 2012 pour 4,1 milliards de dollars. Fin de l'histoire ? Non, en réalité, tout commence maintenant. La saga de George Lucas n'est que l'une des pièces de la fusée que le président du studio, Bob Iger, assemble depuis son arrivée aux commandes en 2005. Une fusée prête à décoller et qui devrait propulser Mickey à des hauteurs sans précédent.

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On retrouve les plans de cet appareil dans des archives datées de 1957. Conçus par Walt Disney lui-même, ils montrent un circuit synergique dont les innombrables ramifications gravitent autour du réacteur central que sont les œuvres cinématographiques. Une mécanique irrésistible pour s'introduire à tous les niveaux de la société. Vous n'aimez pas les films ? Peu importe, vos enfants auront les jouets et vous supplieront de les emmener à Disneyland ! Comme l'explique Henry Jenkins, professeur de communication à l'université de Californie du Sud et auteur de l'ouvrage référence La culture de la convergence : des médias au transmédia , « Disney est l'un des premiers à avoir fait évoluer notre définition du mot histoire et à concevoir le récit comme la construction d'univers entiers reposant sur un maximum de supports médiatiques (jeux, spectacles, BD, etc.) ».

La mécanique  irrésistible conçue par Walt Disney en 1957 ©  Disney
La mécanique irrésistible conçue par Walt Disney en 1957 © Disney


Autrement dit, il y a un demi-siècle, « Oncle Walt » participait déjà à l'invention de ce fameux transmedia storytelling dont on nous rebat les oreilles aujourd'hui. « Ce qui est fascinant, c'est que ce modèle est plus que jamais pertinent », nous confiait justement Bob Iger au mois d'août. Sous le soleil californien, le patron de The Walt Disney Company présentait les projets de l'entreprise aux 70 000 personnes venues spécialement assister à la D23 Expo, la grand-messe bisannuelle des fans de Disney.

Sourire Colgate, coupe impeccable, voix chaleureuse, le PDG faisait un peu figure de Superman. Grâce à lui, le programme des festivités n'a jamais été aussi riche : douze films en douze mois ! Ces cinq dernières années, les bénéfices net de la société ont plus que doublé, avec un record de 8,4 milliards de dollars sur 2015 (clôturée avant l'apport de Star Wars !). Dix ans plus tôt, le studio traversait pourtant l'une de ses plus importantes crises artistiques. Comment Iger a-t-il renversé la situation ? En allant chercher de nouveaux colocataires. Jouets de Toy Story et poissons de Nemo, superhéros, Jedi et aventuriers de l'Arche perdue : désormais, tout le monde crèche chez Mickey. Et devient propulseur de la fusée Disney.

Jamais le programme des studios Disney n'a été aussi chargé ©  Le Point
Jamais le programme des studios Disney n'a été aussi chargé © Le Point


Réforme méthodique

Pour dérouler sa stratégie de montée en puissance, Iger a commencé par sauver le cœur du métier de Disney : ses studios d'animation, totalement ringardisés par les exploits de Pixar. Créativité et innovation technologique sont deux des trois piliers de la réforme qu'entend mener le président fraîchement nommé, et Pixar en est l'incarnation. Alors, plutôt que tenter d'écraser la concurrence, il lui propose une alliance et débourse 7,4 milliards de dollars pour y parvenir en 2006. Du jamais-vu pour un studio qui ne produit alors qu'un seul film par an, mais une nécessité selon le PDG, qui charge le virtuose John Lasseter d'insuffler un renouveau créatif chez Disney. Mission accomplie, à en juger par son prochain film, Zootopie (sortie le 17 février), pépite d'inventivité qui met en scène une ville d'animaux comme vous n'avez jamais osé l'imaginer !

Lire notre interview de Lasseter : « Disney était brisé, nous l'avons réparé »

Les talents, Iger va ensuite les chercher en 2009 chez le spécialiste des comic books Marvel, dont il a observé les méthodes astucieuses. Un deuxième propulseur qu'il s'offre pour quatre milliards de dollars - déjà largement remboursés. Marvel s'apprête aujourd'hui à mettre en scène la première guerre fratricide entre superhéros, Captain America : Civil War, et à introduire le personnage le plus thaumaturgique de son répertoire : Doctor Strange, un neurochirurgien devenu « maître des arts mystiques », capable d'entrer dans des dimensions parallèles et joué par le très shakespearien Benedict Cumberbatch.

Lire notre décryptage : Marvel à l'ère des super-héros post-modernes

Les différents capitaines de l'Empire Disney ©  Le Point
Les différents capitaines de l'Empire Disney © Le Point


Ce qui nous amène à l'autre propulseur mis en place par Bob Iger : l'autonomie. Si ce genre d'extravagances « marvéliennes » peut voir le jour, c'est grâce à l'indépendance accordée aux capitaines de ses nouvelles filiales par Disney. Les différentes branches de la compagnie sont en mesure de conserver leur identité propre : les fans d'Iron Man ne craignent plus le voisinage avec Blanche-Neige. Disney est passé d'un fonctionnement alambiqué, centralisé et politisé, héritage du précédent PDG, à un système plus rationalisé, transversal et local. « Cette réorganisation a tout changé, témoigne Nathalie Dray, directrice de la communication et de la RSE chez Disney France. “Avant, toutes nos activités étaient en silos, il y avait peu de passerelles entre elles. Un film pouvait sortir et ses produits dérivés mettre trois mois à arriver. Aujourd'hui, c'est impensable : tout s'aligne. À ce stade, c'est plus que de la synergie, c'est de l'intégration.”

Puzzle

D'où vient l'argent de Disney ©  Le Point
D'où vient l'argent de Disney © Le Point

“Nous savons comment décupler ou extraire la valeur d'une propriété mieux que toute autre compagnie. Et nous avons l'écosystème pour le faire, dans le monde entier”, se félicite Iger. Seule ombre au tableau, la chaîne sportive ESPN (rachetée en 1996), actuellement en perte de vitesse. Autrefois considérée comme le “joyau de la couronne” des actifs Disney, ESPN souffre de la concurrence des plateformes de streaming et voit son modèle d'abonnement payant par câble ou satellite s'effriter. Une vraie problématique pour Disney, qui peut néanmoins espérer pallier ce manque à gagner en progressant sur le plan de l'expansion internationale, le troisième chantier d'Iger après la créativité et l'innovation. Actuellement, 75 % du chiffre d'affaires de la compagnie est réalisé aux États-Unis. Les perspectives sont donc très larges et l'ouverture d'un parc Disneyland à Shanghai dans le courant de l'année illustre cette volonté de gagner toujours plus de terrain.

À ce titre, la popularité mondiale de Star Wars est une opportunité dont Disney espère évidemment tirer profit, tout comme celle d'Indiana Jones, autre franchise récupérée grâce au rachat de l'entreprise de George Lucas. Pixar, Marvel, Lucasfilm... des millions de pièces détachées dispersées au cinéma, à la télévision, dans les bandes dessinées ou les magasins de jouets, qui s'assemblent tel un puzzle pour former une gigantesque histoire créative et financière. Le rêve ultime de Walt Disney. Celui de Bob Iger aussi, qui se vante à raison : “Toute compagnie serait chanceuse de posséder ne serait-ce qu'un seul de ces studios. Et nous, nous les possédons tous.” Le PDG, qui garde secrète une liste des sociétés qui l'intéressent, achèvera son mandat en 2018. Le temps d'acheter un autre jouet pour Mickey ? Il paraît qu'il aime bien les Lego...

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